Luce en Argentine !

mardi 7 juin 2011

Mi clase o mis clases


J'entame mes cours d'espagnol pour la troisième fois consécutive. Il est déjà tard pour que je leur rende hommage... Mais je ne me formalise pas, l'avantage au bout de trois semaines c'est que je peux maintenant dépeindre le lieu avec un peu plus de couleurs et de détails.

Lorsque le premier jour je suis arrivée, mes « Holas » ou mes « Qué tal » étaient bancales et presque insonores. Quasiment inexistants, plus une sorte de mouvement dérisoire de ma bouche pour suppléer le fait que je n'ose pas prononcer un bon et franc « Hola » de crainte de le dire mal. Chose étonnante, même après deux semaines de cours, ma confiance pour saluer n'est pas encore augmentée. Par exemple, aujourd'hui, je me suis même plantée et j'ai carrément dit « Hello ». Je suis en Argentine depuis quatre semaines, je ne m'inquiète pas.

La première fois que je suis arrivée à l'école, j'étais prête à pourfendre dragons et hydres à milles têtes pour pouvoir atteindre un bon niveau d'espagnol à la fin de mon séjour. Ce sera un enseignement épique, ou ça ne sera pas. Ou alors, c'est ma lecture des Trois Mousquetaires qui me fait voir des aventures partout... Qu'importe ! Mon arrivée à l'école était vaillante, et les yeux englués par un éveil réveillé par un réveil, chose rare, je me sentais prêtre à mettre le pied à l'étrier.

Mon enthousiasme s'est très vite évaporé. A cette phrase, je suis obligée d'ouvrir une parenthèse juste pour signaler que je viens d'éponger une fuite d'eau dans la cuisine. Nous avons éviter l'électrocution ou une plongée sous-marine matinale. Je referme la parenthèse. Donc, je me retrouve complétement refroidie par l'ambiance de la classe, comme un jeune puceaux qui se voit mettre un préservatif pour la première fois de sa vie au moment tant attendu : mes collègues de classes sont aussi intéressantes et motivées que des hôtesses de l'air d'Aeroflot et ma professeure est, au contraire, ultra motivée mais trouve également moyen de ne faire tourner nos maigres conversation que sur le sujet le plus chiant et bancal du monde : les clichés de nos pays.
Ce qui donne des situations cocasses qui me fait frétiller seule sur ma petite chaise, d'excitation, comme par exemple quand elle demande à une de mes camarades, Tatiana, une russe de quarante ans passionnée par l'Amérique Latine et Patricia Kaas la question suivante : «  Y por vos (« tu » argentin), como es Vladimir Poutine? ». Je guette la russe les yeux plein d'étoiles, en me disant que qu'importe sa réponse je serais la plus heureuse de monde. « Es muy lindo, para mi ». Putain de barrière de la langue. Bon d'accord, je suis déjà très heureuse d'avoir pu entendre une russe en chair et en os dire que Vladimir Poutine et beau, mais je suis déçue de ne pas pouvoir l'entendre parler plus...
Puis après ce type d'excitations, je me retrouvais à nouveau dans un état léthargique pendant lequel je suivais doucement le rythme de la classe comme un pédalo qui se laisse doucement dérivé sur un lac. Malgré tout, ce rythme me donnait la confiance suffisante pour avoir envie d'avancer plus vite, et grâce à lui, j'ai eu tout doucement les bases de l'espagnol qui me manquaient et ainsi que le vocabulaire que je n'avais jamais appris du début... Avec des choses aussi basiques que les mois, les jours de la semaine, et les chiffres.

Mais après cette description, on peut imaginer que ma quête héroïque de l'espagnol se transforme un réunion topoware version castillane. Mais non, j'avais envie de faire les choses à fond, et envie d'avancer vite : l'après midi, pour cette première semaine, j'ai eu un prof particulier pendant une heure chaque jour.

L'après midi, après avoir passée tranquillement deux-trois heures à bouquiner et me reposer dans les alentours de l'école, je me retrouve à guetter intriguer par le tableau où mon nom apparaît avec celui d'un professeur : Ciro.
Je fantasme. Professeur particulier... Hmm, non que je sois particulièrement excitée par les enseignants, je laisse mon imagination gambader et créer un professeur argentin idéal, avec une petite chemise à carreaux, grand et élancé, qui me donnerai également des cours de tango... Et à ce moment, un homme se rapproche de moi, rien à voir avec mon idée. Il est bien plus vieux et en plus, il est rond. Il regarde le tableau et me regarde. Je supporte son regard avec une tête qui veut dire que je ne crois pas du tout au fait qu'il puisse lire sur ma gueule mon prénom. Description : je soulève difficilement un sourcil (donc les deux parce que je sais pas faire autrement) et j'écarquille les yeux pour avoir l'air encore plus étonnée par le regard observateur du prof.
« Vos sos Luce? ». Sourire gênée, un petit « Si ». « Encantado » me répond-il d'une voix tonitruante accompagnée d'une poignée de main très énergique quasiment théâtrale.
Il me ramène dans sa classe me parle et magie... Je comprends tout ! Je lui réponds, et j'arrive à parler. Cet homme me donne ce que je n'ai jamais eu de toute ma vie en quelques minutes : la possibilité de m'exprimer en espagnol.
Je ne sais pas si c'était parce que c'était lui, mais en tout cas il m'a donné envie de parler. Pour vous figurer le personnage, il faut prendre un corps pas forcément facile à porter. Imaginez ce que costaud peut décrire quand on veut pas vraiment dire que quelqu'un est gros, et rajoutez pataud dans la manière que vous estimez ce corps se déplacer... Mais alors la surprise, malgré la masse, l'homme bouge de manière vive, et il y a une sorte de contradiction magique entre lui en mouvement et lui quand vous l'imaginez se mouvoir. Il n'est pas vraiment beaucoup plus grand que moi, mais la masse est imposante, il a les cheveux noirs qui pourraient sembler être gominés, il est entre l'italien et l'espagnol, physique pas forcément facile et en même temps avec une énergie folle, il peut parler pendant des heures juste pour s'entendre parler et en même temps ce qu'il dit est intéressant. C'est homme est une contradiction. Lorsque je le rencontre, il est fraichement rasé, et au fur et à mesure des mes jours à l'école, j'ai pu étudier la manière dont sa barbe pousse sans jamais vraiment savoir si je le préfère avec ou sans, comme si aucun des deux ne lui allaient.

Toute l'énergie absente de mes cours d'espagnol du matin va se concentrer pendant cette heure l'après midi. Dès la deuxième heure, je commence à parler de cinéma et avec les mains. En fin de semaine, on se retrouve à fumer des cigarettes sur la terrasse comme si on était dans le premier troquet en train de refaire le monde ou du moins redessiner le monde artistique et on se fait virer de l'école parce qu'elle doit fermer et que nos cours s'éternisent.
Il me donne vraiment envie de me mettre à l'espagnol, de découvrir plus la culture de l'Amérique Latine et on échange nos artistes ou auteurs préférés. Par rapport au discussion du matin « A mi, no me gusta Nicolas Sarkozy porque es bajo », c'est le jour et la nuit et je suis ravie de parler culture.

Par contre, une crainte se manifeste, de manière perverse : c'est que le professeur est un argentin.
Depuis mon arrivée, vous avez pu constater comment ma vie sentimentale était exhalée ici, et je ne peux calculer le nombre de fois pour expliquer le machisme, la drague, les relations entre les gens, mais de manière générale, tout le monde, ma prof, Flora, Rebecca, même Pablo la mec de Rebecca, m'a dit « Ho mais c'est un argentin ! » ou « On est en Argentine ». Oversexualité de tout et pécho une nana est aussi populaire que le foot ici. Qu'importe la fidélité.
Rien qu'au niveau des relations homme/femme, avant qu'une histoire devienne sérieuse, il faut que des fois que les jeunes femmes attendent un an avant que leurs mecs leur demandent s'ils peuvent être officiellement leurs « novio ». Avant pas de réel engagement... même si après, ça n'a pas l'air très contraignant pour les messieurs...

Enfin, pour en revenir à mes cours d'espagnol, la première semaine, mes cours de l'après midi, c'est l'idylle parfait, en comparaison avec mes cours du matin.
Le jeudi, dernier cours de ma semaine, ayant crainte de ne pas retrouver mon prof, je lui serre la main très cérémonieusement quasiment en faisant un petit salue. Il se fout de ma gueule par rapport à mon comportement. En effet, rétrospectivement, je réalise que c'est plus le genre de au revoir que pourrait faire un coréen à son chef lors d'un licenciement que d'une française qui salue son prof d'espagnol avec qui je gribouille dessus son carnet le nom des mes réalisateurs préférés sur son petit carnet. Tant pis, je ne mourrais pas de honte.

Le semaine suivante, je désire alléger mes cours et je ne prends que ceux du matin. Alors quelle grande surprise lorsque je réalise que mon nom, sur le tableau des classes est tout seul avec celui de Ciro. Pour rien vous cacher, outre la surprise, je suis un peu anxieuse. Il est vrai que je savais qu'il était possible que s'il n'y a pas de classe à son niveau, les cours peuvent être transformés en cours particulier de 2h au lieu de 4. Je me retrouve donc avec 2h de cours par jour, de 14 à 16h. Résultat ça fout en l'air mon rythme de vie, je commence à avoir le même que Ramiro (le mec de Flora), c'est à dire lever à midi, coucher à 4h du matin. A l'argentine quoi !
En plus, le mercredi est un jour férié et je me retrouve à sombrer dans une série, dans Entourage et je ne sors que pour étudier, manger et aller en cours.

Mes cours continuent sur leur lancée, discussions philosophiques, politiques, économies de l'art en Argentine.

Le mardi de ma deuxième série de cours en tête à tête, un événement étrange ce produit. Je parle de l'anniversaire de Ramiro. Mon prof, afin de tester ma capacité à bien utiliser les formulations de l'age me demande « Y cuanto anos tiene ? ». Petit moment de hésitation je lui donne l'age du jeune homme. Sur son visage, je lis un léger tressaillement. « Y vos, cuanto anos tenes ? ». « Yo tengo 21 anos »... « Heu no, disculpa me, yo tengo 22 ». Oui... comment je peux me tromper sur mon âge !
« Hijo de Puta » s'exclame-t-il. Il fait son bon chamucho, et s'extasie sur le faite que je suis vraiment trop jeune pour mes discussions et ce que j'ai fait dans ma vie et n'arrive qu'à me gêner et puis je réalise ensuite que s'il l'homme avait quelques idées très argentines dans la tête, peut être que l'âge jouera en ma faveur et me permettra de ne pas avoir à répondre des propositions pressentes auxquelles je ne veux pas penser... Surtout que je suis fascinée par cette bague qui porte à l'annulaire, monture en argent avec un M siègent au milieu en or. Pas du tout à mon goût, et qui augmente mon dégout à toute forme de gentillesse.

Le cours de jeudi se passe s'en encombre, et une nouvelle fois nos discussions animées fait que cette classe fait rayonnée ma journée et stimule mon esprit peut excité par ses journées assez léthargiques.

Vendredi, je suis déprimée. Vraiment déprimée, pour une raison à la con, je me tape le blues propre à toute étape d'apprentissage : je stagne. J'ai l'impression de ne pas avoir progressé. De ne pouvoir parler qu'avec mon prof et que tout les autres personnes, je ne les comprends pas ou vice versa. Ma déprime passagère me pousse même à imaginer une machination de la part de mon professeur afin que je ne puisse communiquer qu'avec lui.
Ce qui fait que lorsque j'arrive en cours, je n'ai pas du tout envie de travailler. Et puis bon, je l'explique à mon prof vu que je suis franche, qui donc, gentiment prend le temps de revoir les choses sur lesquelles je bloque et on s'accorde à ne pas me faire parler pendant longtemps. A force de me plaindre et de m'excuser de me plaindre, Ciro s'énerve un peu me dit si je parle en espagnol, je ne peux pas tout le temps m'excuser, ce n'est pas dans les habitudes de la langue latine. Et je ne sais plus comment cela se passe mais en expliquant que je ne m'excuse pas vraiment, que c'est parce que j'ai pas du tout la tête à ça, je me retrouve bloquée par cette pregunta: « Que esta en tu menta si no podes trabajar ? » ou quelque chose comme ça qui veut dire qu'est ce qui a dans mon crâne qui fait que je ne peux pas me concentrer. Je feins une flemmardise aiguë et évite la franchise qui pourrait entrainer juste des situations gênantes. Et je sens aussi également que le malaise continue et je regrette presque immédiatement de ne pas avoir essayer d'expliquer les choses, même maladroitement en espagnol. Mais la discussion rebat sont plein lorsque on parle de littérature d'aujourd'hui, celle d'Amerique Latine et de Victor Hugo.
Je termine ce dernier jour de classe avec l'esprit plus libre et une pointe de romantisme artistique qu'avaient fait germé nos cours dans ma vie simple de Buenos Aires.

Après un samedi en Uruguay et un dimanche à la Feria de Ricoletta avec Rebecca, me revoilà, lundi matin, la tête dans le cul devant le tableau des classes. Je suis enfin avec un groupe, ça veut dire qu'ils connaissent mon niveau et que je vais être avec des gens du même que le mien... Je rentre à 10h dedans la salle désignée, et la prof me demande si c'est bien ma classe, je lui réponds par l'affirmative, mais va contre-vérifier, parce que je suis presque un peu déçue de ne plus être avec mon prof préféré. Et je réalise mon erreur : j'ai bien cours avec ma classe mais l'après midi.

Commence ainsi ma troisième semaine de cours d'espagnol.

La motivation belle et joyeuse du début à complétement disparue, et par rapport à mes discussions animées de la semaine précédente, je me fait royalement chier pendant mes cours où malgré les efforts didactiques de ma prof, je m'emmerde comme le rat mort écrasé entre les pavés que j'ai vu à San Thelmo.
Ma classe est remplie de brésiliens, et la seule personne qui n'est pas ressortissante de là bas est une allemande. Une allemande passionnée par la danse. Et qui est vraiment aussi con qu'une danseuse. Au début, je la trouve rigolote, mais très vite, elle passe sous l'étiquette conne. Trop d'énergie, trop dispersée, elle parle trop... Halala, déjà que les cours ne sont pas faciles à supporter, j'aimerais également qu'elle ferme sa gueule et ça irait un peu mieux.
Donc ma déprime castillane se termine jeudi. Tout d'un coup, je me remets à parler, je retrouve la facilité de faire des phrases sans queue ni tête ou je me perd au milieu, mais avec lesquelles j'arrive à combler le silence, et je me retrouve, à nouveau, le sabre au bout de la langue prêt à reprendre mon combat pour parler espagnol.
Je vois, sans le savoir, pour la dernier fois Ciro. Je lui dis que je pars à Cordoba. Il me fait la bise, et ça m'émoustille un petit peu (putain d'hormones argentins).

Le vendredi, dernière classe, je me rends compte que je me suis attachée à mes camarades, que je leur parle et que je regrette de les avoir snobés parce que je m'ennuyais. C'est surtout Cristo, un mec assez doux et gentil, avec qui ont a raconté des histoires absurdes d'amour en classe d'espagnol qui me fera presque un adieu déchirant...
Je ne croise pas Ciro dans les couloirs, je me rappelle qu'il ne travaille pas souvent le vendredi, je regrette de ne pas avoir son email, et réalise qu'outre mes petits fantasmes à deux balles, c'est surtout à un ami à qui je ne dis pas au revoir. Je me promets que lors de mon retour à Buenos Aires, je reviendrai saluer mon professeur.

1 commentaire:

  1. Oui ma Chérie, j'apprécie beaucoup ce récit de tes aventures scolaires bourrées de métaphores évocatrices -très réussie, celle du jeune puceau !-
    Comme tu l'as bien deviné: étant ta maman je préfère te lire en situation scolaire ...même si c'est toujours plus ou moins agrémenté de tes fantasmes ("putain d'hormones!" ^^)
    Tu nous mettrais aussi quelques photos et ce serait super !

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